Dans une décision du 29 juin 2011, la Cour de cassation a confirmé la régularité de l’ordonnance qui avait autorisé la saisie de plus de 600 000 documents, fichiers et autres messages électroniques effectuée par la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) au siège de la société Schering-Plough.
En effet, les enquêteurs appartenant à la DGCCRF détiennent des pouvoirs élargis dans le cadre de leurs enquêtes. Ces pouvoirs sont accordés par le juge qui se basera sur le fondement d’un soupçon légitime.
Même si normalement les perquisitions ne peuvent dépasser le champ de l’autorisation judiciaire initiale, les OPJ (officier de police judiciaire) ont tendance à saisir, ou à dupliquer l’intégralité des disques durs et ainsi l’ensemble des emails y compris ceux qui sont personnels.
La Cour de cassation considère que la Cour d’appel de Paris a justifié sa décision de valider la saisie des documents et fichiers. Cette opération était accusée de porter atteinte à la vie privée et au secret des correspondances d’avocat.
La Cour d’appel avait rappelé que les enquêteurs sont tenus au secret professionnel et que l’administration ne peut utiliser de tels documents dans une procédure.
La Cour suprême avait aussi mentionné le fait que les enquêteurs avaient procédé à des fouilles sommaires ce qui leur permettaient de ne pas saisir de documents couverts par le secret. Ils avaient par ailleurs ajouté que « dès que les enquêteurs soupçonnent l’existence de documents incluant des données personnelles ou couvertes par le secret des correspondances d’avocat, ou si l’occupant des lieux les alerte, ils placent les données sous scellés et il est ultérieurement procédé, sous le contrôle du juge, à leur restitution ». Et sur la saisie de documents non directement liés au litige, la Cour estime « que, d’une part, si l’administration ne peut appréhender que des documents se rapportant aux agissements retenus par l’ordonnance d’autorisation de visite et saisie, il ne lui est pas interdit de saisir des pièces pour partie utiles à la preuve desdits agissements ; qu’en l’espèce, le juge a souverainement estimé que lesdites pièces n’étaient pas étrangères au but de l’autorisation accordée et qu’elles n’étaient pas divisibles ; que, d’autre part, les fichiers saisis ayant été identifiés et inventoriés, la société demanderesse à laquelle une copie des DVD a été remise était en mesure de connaître le contenu des données appréhendées ».
L’affaire en question portait sur des opérations de saisie effectué par la DGCCRF dans le cadre d’une enquête sur d’éventuelles pratiques anti-concurrentielles sur le marché du médicament générique.
« Ce rapport est venu expliquer qu’il était techniquement possible d’extraire d’une messagerie électronique des messages individuels. »
Le laboratoire reprochait à l’administration la saisie massive et indifférenciée de milliers de pièces provenant des postes de travail de dirigeants de la société dont celui la directrice juridique. Il prétendait que parmi ces documents, un grand nombre d’entre eux étaient confidentiels, tels que des échanges avec des avocats, des CV de candidats à un emploi, des comptes personnels, des évaluations de salariés, etc. Le 17 juillet 2007, Schering-Plough avait obtenu du juge des libertés et de la détention du TGI de Nanterre l’annulation de la procédure et la restitution de tous les documents appréhendés. Mais par un arrêt du 20 mai 2009, la Cour de cassation avait invalidé cette décision au motif que le juge de Nanterre avait statué par des motifs généraux « alors qu’il lui appartenait de rechercher, d’une part, si les documents et supports d’information saisis concernaient, au moins en partie, les pratiques anticoncurrentielles susceptibles d’être relevées dans le secteur du médicament générique objet de l’enquête, d’autre part, si cette saisie avait été régulièrement effectuée ».
La Cour de Cassation avait renvoyé la cause devant la cour d’appel de Paris qui, dans une ordonnance du 4 mars 2010, avait validé les opérations de la DGCCRF. Dans son dernier arrêt du 29 juin 2011, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de Schering-Plough, estimant que la cour d’appel avait justifié sa décision.
Cette décision pose le problème de la séparation des données perquisitionnée : les données personnelles, et celles intéressant l’affaire. En effet, Selon l’administration, les messageries électroniques seraient « insécables », et il serait techniquement impossible d’en extraire des emails individuels.
En janvier 2011, la Cour d’appel de Paris, avait mandaté un expert informatique pour qu’il tranche sur la question : « est-il effectivement impossible d’extraire des emails d’une boîte de messagerie électronique ? »
Ce rapport est venu expliquer qu’il était techniquement possible d’extraire d’une messagerie électronique des messages individuels.
La Cour de cassation elle a jugé que le rapport d’expertise n’était pas nécessaire, et a validé l’approche de l’administration.
Cette décision de la Cour de cassation, met en exergue la question de l’évolution des NTIC et la défense des libertés fondamentales. Si la distinction entre les données privées et celles concernant le mandat délivré par le juge n’est pas faite, la présence d’informations personnelles dans les emails influent sur la capacité de défense de la personne perquisitionné. Le cadre du mandat du juge est ainsi dépassé. Ainsi, on peut se demander, si la cadre de la perquisition n’est pas dépassé, et quel va être l’évolution de la jurisprudence concernant ce sujet ?
Benoît Bellaïche
b.bellaiche@gmail.com